Regard Humaniste

Psychologie

C'est triste à dire, mais les Tikamis comprennent souvent mieux le fonctionnement psychique des humains que ces derniers.

Psychologie & Société

Des champignons, vénéneux ou non ?

Un essai du doux Tikami

  • Dernière édition : 22 fév. 2019

100% Naturel

100% naturel! C’est le grand slogan à la mode chez les humains, la dernière tendance, le buzzword, pour qui souhaite attirer le chaland.

Des épiceries aux pharmacies, des lessives aux compléments alimentaires, pour emporter l’adhésion du consommateur, ce n’est plus la peine de chercher à démontrer une efficacité, ou à chercher le juste prix: il faut être naturel.

Il semblerait que, à force de vivre dans le confort de vos logements, humains, vous ayez oublié ce qu’est vraiment la Nature. La Nature, ce n’est pas une douce nourrice, ce n’est pas une amie qui vous veut du bien. C’est un écosystème sans pitié, où pour une relation de symbiose, on en trouve dix de prédation. C’est une arène romaine sans pouce levé, dans laquelle seuls les plus violents, ou les plus craintifs survivent. Aucune plante, aucun animal, n’a jamais eu pour but premier de faire du bien aux humains. Si vous pouvez parfois bénéficier de leurs fruits, de leurs extraits, de leurs fibres vestimentaires, c’est uniquement une heureuse coïncidence, un effet de bord de la préoccupation que l’évolution a assignée à toutes les espèces: survivre.

Dès lors, si vous vous promenez en forêt l’un de ces jours, et que vous mangez au hasard les baies et les champignons que vous rencontrerez, il y a peu de chances que vous vous régaliez; mais beaucoup que vous terminiez aux urgences. À l’inverse, un grand nombre de matières complètement artificielles font depuis longtemps le bonheur de vos foyers. Que préférez-vous, posséder une table en plexiglas, ou en ortie vivantes? Manger un mille-feuille à la vanilline artificielle, ou un smoothie de laurier rose assaisonné au muguet?

La vie en général, et le corps humain en particulier, sont des horlogeries biologiques d’une extrême sensibilité, d’une aberrante complexité, dans lesquelles le moindre grain de sable peut avoir des effets dévastateurs (en témoignent les perturbateurs endocriniens). C’est pour cela que la quasi-totalité des éléments du tableau périodique (plomb, mercure, uranium…), la plupart des molécules que l’on peut trouver dans la nature, auront bien plus de chances de faire dérailler votre santé, que de la renforcer. Et c’est sans parler du juste dosage, sans lequel même les plus précieuses vitamines peuvent se transformer en mortels poisons.

Dès lors, à quoi rime toute cette effervescence autour du Naturel? Il s’agit à mon avis, tout simplement, d’un quiproquo sémantique, d’un bogue intellectuel. Les humains confondent la naturalité avec l’innocuité. S’ils étaient capables d’un tant soit peu de rationalité, ils ne rechercheraient pas ce qui peut se dénicher à l’état naturel, suite aux hasards de l’évolution biologique. Ils chercheraient ce qui est inoffensif; ce qui est testé, éprouvé, par de nombreuses années d’une rigoureuse mise à l’épreuve, imbibée de méthodologie scientifique. Ce dont on connait les effets à court et à long terme; à faible et à forte dose; sur les foetus aussi bien que sur les adultes; sur les humains aussi bien que sur le reste du vivant.

Les humains confondent la naturalité avec l’innocuité.

Si c’est une bonne idée, quand vous pouvez vous le permettre financièrement, de manger Bio, ce n’est pas juste pour singer vos aïeux, dont l’espérance de vie n’atteignait pas la moitié de la vôtre. C’est pour se prémunir (partiellement) contre les pesticides, les engrais chimiques, et autres substances nocives, qui continuent d’être déversés sur les champs agricoles malgré les alertes répétées de la communauté scientifique. C’est pour préserver les nappes phréatiques, les abeilles, la fertilité de vos éleveurs, et plus généralement diminuer le taux de cancers dans vos populations. C’est pour toute une myriade de raisons. Mais sûrement pas “parce que c’est plus naturel”. D’autant que l’absence de conservateurs se paye d’une plus grande appétence au pourrissement, qui est lui aussi rarement salutaire pour la santé.

De la même façon, le problème des OGM n’est pas le fait de modifier la nature. Il vous faudra un jour en finir avec la superstition prométhéenne: si vous l’écoutiez, vous n’utiliseriez plus ni feu ni électricité. La nature n’a pas attendu les humains pour se transformer et expérimenter, parfois de façon dantesque - les dinosaures pourraient en témoigner. Le danger des OGM, c’est avant tout le danger de tous les nouveaux produits chimiques ou biologiques; c’est pour cela qu’ils doivent d’abord être développés et testés dans des environnements sécurisés, pendant des années, et plus tard retirés du marché sans délai si un risque sanitaire est découvert. Sans oublier les problèmes liés à “brevetabilité du vivant” ; ainsi, comble du ridicule et de l’injustice, des agriculteurs se sont vus sommés de payer des royalties sur des souches OGM voisines qui avaient colonisé leurs champs. Mais lorsque l’on sait que la vie de millions d’enfants peut être sauvée par quelques modifications génétiques sur leur alimentation de base (blé, riz…), comblant leurs carences graves en certains nutriments, il faut avoir une certaine conception de la morale pour faire passer la Sacralité du Naturel en premier.

Surtout, ne l’oubliez pas: à peu près tous les fruits et légumes et que l’on trouve sur vos tables, portent l’empreinte de la technologie humaine. Ils sont issus de millénaires de croisements sélectifs, ayant pour but d’augmenter la chair consommable, d’améliorer le goût, de combattre pépins et noyaux. Des manipulations souvent plus brutales et aléatoires que l’introduction d’un unique gène, aux propriétés bien identifiées. Et je ne parle même pas des grassouillets (mais tragiques) animaux d’élevage, qui n’ont plus grand-chose en commun avec leurs ancêtres sauvages. C’est pourquoi, dans la continuité de ces progrès technologiques, lorsqu’un produit alimentaire, même entièrement synthétique, aura été validé comme sans danger (voire bénéfique), je vous conseille d’en rajouter sans déplaisir à votre assiette.

À l’inverse, il est choquant de voir comment, dès qu’un produit se proclame naturel, il est exempté des procédures de sécurité les plus élémentaires. Ainsi, les huiles essentielles (dont l’efficacité, mais aussi la dangerosité, ne sont plus à prouver), ne donnent que bien peu d’indications sur leur posologie, leurs contre-indications, et leurs effets secondaires indésirables. Comparez cela avec les interminables notices de vos médicaments pharmaceutiques, même les plus anodins, qui détaillent jusqu’à des probabilités infinitésimales leurs potentiels effets de bord.

Les adeptes du 100% naturel ont d’ailleurs tendance à oublier que ces médicaments industriels, qu’ils décrient tant, sont quasiment tous issus de plantes de la pharmacopée traditionnelle. La différence, c’est qu’ils isolent les molécules actives, au lieu de forcer le patient à les ingérer avec toute la mixture de nutriments, de toxines, et de déchets, dont ils faisaient originellement partie. Il vous est tout de même pratique de pouvoir prendre un comprimé d’aspirine, sans avoir à mâcher longuement une écorce de saule. Et il est difficile de croire que des molécules “synthétiques” identiques, à l’atome près, à leurs homologues naturels, agiront différemment sur le corps humain.

Mentionnons de façon spéciale le rejet grandissant des “médicaments chimiques”. Pourtant, si l’on n’aime pas la chimie (organique), la moindre des choses serait de cesser toute cuisson et toute digestion, des réactions thermico-enzymatico-acido-basico-chimiques dignes d’une super-usine industrielle. Autre étrangeté: ceux qui sont si prompts à conspuer les entreprises pharmaceutiques pour leur avidité, se montrent bien silencieux quand les mêmes sociétés vendent de coûteux produits homéopathiques qui statistiquement ne contiennent pas une seule molécule de substance active par tonne de granulés (quant à la mémoire de l’eau…).

Il existe beaucoup de problématiques cruciales dans vos industries.

  • Des préoccupations d’écologie, de diversité génétique et de développement durable.
  • Des préoccupations sanitaires et anti-allergéniques.
  • Des préoccupations éthiques (souffrance des animaux, commerce équitable, concurrence loyale).

Quel dommage, dès lors, de se gargariser avec la “naturalité” des choses, quand même la couleur des chaussures de l’agriculteur, ou l’âge du capitaine du cargo de fret ont davantage de pertinence pour le sujet.

En fin de compte, la prochaine fois qu’un commerçant vous vantera les bienfaits de son produit 100% naturel, demandez-lui directement: est-il naturel comme une laitue, ou comme un mancenillier ? Et si c’est comme une laitue, n’avez-vous pas des arguments plus convaincants à avancer, pour en faire la promotion?

Pour aller plus loin

Voir l’escroquerie logique associée, en anglais: Appeal to Nature

Sur les OGM, deux articles très bien documentés: OGM et Nature et OGM et Dangers

Historique des modifications

  • 2016/08/11: Suppression de la métaphore “une guerre sans fin et sans diplomatie”, redondante avec “une arène romaine sans pouce levé”, pour désigner la Nature
  • 2016/09/24: Réécriture du passage sur les OGM, suite à investigations supplémentaires
  • 2018/03/18: Élagage du passage sur les produits homéopathiques
  • 2019/02/22: Correction orthographique et ajour du paragraphe “médicaments chimiques”
Tikami in wildlifeAperçu de l'auteur, le Tikami
 
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