Les frivoles Tikamis ont la chance d'avoir la Déesse de Justice, Athéna, pour mentor.
Un essai du doux Tikami
Il me semble que vous autres humains, êtes parfois bien plus attachés au politiquement correct, qu’à l’épanouissement de vos congénères. Ainsi, dès qu’une période spécialement religieuse commence, avec son carcan de prescriptions et de proscriptions plus ou moins justifiables, chacun lui déroule le tapis rouge sous les pieds, en clamant que “ici, on respecte toutes les croyances”. Les zélotes de tous bords profitent de ces apaisantes déclarations, pour étendre de plus en plus leurs revendications ; jusqu’à crier à l’offense si un quidam se permet, en exprimant ses propres pensées, de les contredire. Pourtant, dans votre univers, il me semble évident que la dignité est inhérente aux PERSONNES, pas aux IDEES. Explications.
Les êtres sensibles - dont les humains - disposent d’une respectabilité intrinsèque, que n’altèrent ni les bêtises qu’ils aient pu dire, ni celles qu’ils aient pu faire. C’est un axiome, certes, mais je ne viens pas de l’inventer : il est dans le premier article de votre DUDH, et me semble former un rempart efficace contre de nombreuses barbaries. En revanche, une idée, une théorie, une opinion, une croyance, ne jouissent pas de cette assurance. Elles sont vouées à être scrutées, évaluées, débattues, comparées aux données empiriques, et au sens commun. Il sera ainsi possible de juger si elles sont fondées ou non ; si elles sont pérennes ou temporaires ; si elle sont bonnes, neutres, ou mauvaises. Sacraliser les points de vue, les dogmes, les superstitions, comme vous le faites trop souvent, ce n’est pas seulement négliger la dignité humaine, c’est aussi s’y opposer.
Car s’il est bien une chose que votre historique des derniers millénaires prouve, c’est que les mauvaises idées sont infiniment dangereuses. Vos pires carnages sont nés de quelques diatribes, qui se sont propagées comme feux de paille sur des nuées d’esprits ignares et apeurés.
Lorsqu’un écrit prêche l’animosité, la discrimination, la violence, il est funeste d’avoir la naïveté de penser que, puisque “ce n’est qu’un livre”, il est anodin. Sur plusieurs milliards d’humains, ils s’en trouvera toujours un beau nombre chez qui ces exhortations auront résonance, et qui transformeront la théorie en pratique. Un prêcheur de haine est comme un parrain de mafia qui prend ses décisions en tirant les dés : il tue par procuration et par le truchement du hasard, mais cela ne diminue en rien sa responsabilité criminelle, bien au contraire.
Quelle confondante chose pour moi, jeune Tikami, que tant de gens qui ne supporteraient pas d’être eux-mêmes simplement menacés d’une gifle en public, soient si magnanimes lorsque des idéologies (j’insiste sur le pluriel) diffament des populations entières, légitiment la servitude et le viol des esclaves, légalisent le meurtre ou le racket des non-croyants, prétendent qu’une femme vaut (en témoignage et en héritage) la moitié d’un homme, justifient la torture éternelle des opposants intellectuels, ou émettent des directives contredisant les plus élémentaires préoccupations médicales.
Au temps jadis d’il y a quelques années, un virulent débat avait agité votre société française : des animateurs de Gennevilliers, s’occupant d’une colonie de vacances, avaient en effet été suspendus, car ils ne se nourrissaient pas pendant la journée, malgré les exigences de leur contrat de travail. Rapidement, des foules se sont insurgées contre cette sanction, et la république a fait marche arrière ; admettant ainsi, à mi-mot, que les souhaits individuels primaient sur le bien commun. “La liberté religieuse est une liberté fondamentale et on ne peut en aucun cas interdire à une personne de pratiquer sa religion” clamait un certain CFCM.
Pourtant, il me semble évident que tout droit ne peut se concevoir qu’en articulation avec les droits d’autorité supérieure, comme le Droit à la Vie. Et justement, vous rappelez-vous, mes amis, pourquoi la mairie s’était ainsi permis de réglementer l’intimité gustative des encadrants d’enfants ? Tout simplement parce qu’il y avait eu un fâcheux précédent quelques années auparavant : une animatrice, qui jeûnait, avait fait un malaise au volant ; blessant au passage deux petits passagers, qui n’avaient pourtant rien demandé à personne.
Mais quel opprobre, dans votre société, sur qui veut tirer des préconisations à partir de faits empiriques, plutôt que se blottir dans des dogmes antiques ; sur qui préfère les faits biologiques aux superstitions ; sur qui fait passer la sécurité de ses enfants avant la sacralité des croyances. Quel empressement, parmi vos plus solidaires citoyens, à faire des procès d’intention discriminatoire aux employeurs, au lieu de chercher les origines des règlements sanitaires. Et quel manque de panache par ailleurs, chez ceux qui seraient censés être les gardiens des Principes du Vivre Ensemble, mais désertent lorsqu’ils voient poindre une polémique.
Ce n’est là qu’un exemple parmi des milliers, et innombrables sont les mouvances intellectuelles qui mènent à ce genre d’aberrations. Des nourrissons qui meurent de sous-nutrition parce que leurs parents s’alimentent dogmatiquement et méprisent la “médecine conventionnelle” ; des pharisiens qui s’entortillent l’existence pour ne pas à avoir à appuyer sur un interrupteur durant leur jour de repos ; des crédules qui sont pris d’une peur maladive lorsqu’ils croisent un chat noir ou un mauvais chiffre ; des fidèles qui s’enferment dans des prisons mentales ou physiques pour ne pas contredire leur gourou… Même les plus inoffensives certitudes peuvent avoir des conséquences dramatiques, comme les recense par exemple le site anglophone où-est-le-mal-?
Il existe des lois spécifiques pour sanctionner les injures aux personnes, lois qui semblent faire consensus. Mais que faire lorsque c’est le simple fait d’être contredit, ou de ne pas pouvoir suivre toutes ses lubies, qui est vécu comme une attaque ad hominem ? À cela je réponds, comme nombre de vos penseurs : ce n’est un droit fondamental pour personne, que de ne pas se sentir offensé.
Pourquoi donc ce subit revirement, me demanderez-vous ? Se taire pour ne pas heurter les convictions d’autrui, ne serait-ce pas cohérent avec la délicatesse et le respect, qu’un Tikami comme moi prêche sans cesse auprès des humains ?
Eh bien non.
Premièrement parce que, comme je l’ai évoqué plus haut, nombre de thèses sont incompatibles avec les règles morales les plus fondamentales, et mènent à des drames lorsqu’elles ne sont pas intelligemment réfutées.
Deuxièmement, parce que des idées anarchiques sont facilement contradictoires, et vont donc s’offenser crescendo sans conciliation possible ; c’est pour cela qu’en religion, la foi des uns sonne comme un terrible blasphème aux oreilles des autres, et que les plus grands apôtres de la tolérance envers leur propre culte, ne rechignent pas à pester contre les confessions dissidentes.
Troisièmement, parce que ce n’est nullement rendre service à un humain, que de le laisser s’enfermer dans des croyances que l’on pense méchantes ou fausses, pour ménager sa susceptibilité. Le progrès nait de l’émulation intellectuelle, de la controverse entre points de vue divergents, de la confrontation entre des hypothèses - même très audacieuses - et des expériences tangibles. Ce fut sans doute un choc pour vos anciens, de réaliser que la Terre n’était pas au centre de l’univers mais dans sa banlieue, et que les maladies n’étaient pas dues à de mauvais génies mais à des microbes ; les bénéfices ultérieurs ont cependant bien compensé ces préjudices moraux. Et il est fort dommage que nombre de vos concitoyens fassent aujourd’hui marche arrière (créationnisme, Terre plate, pseudo-médecines etc.), par une “intime conviction” aussi appelée obscurantisme.
Comme toute initiative, la critique des croyances ne saurait être profitable que si elle est faite avec intelligence et bienveillance. Faire des représentations pornographiques des divinités et prophètes que les gens honorent, ou couvrir de jurons les idées des uns et des autres, c’est non seulement dangereusement proche d’une insulte aux personnes, mais aussi foncièrement contre-productif. Par contre, poser fermement le doigt sur les affirmations gratuites, absurdes, ou cruelles, cela peut être à l’intelligence ce que les défibrillateurs sont au cœur.
C’est manifestement humiliant, pour un nourrisson, de voir ses parents gambader autour de lui, alors qu’il n’arrive pas même à tenir debout ; mais c’est le prix à payer, pour qu’après d’innombrables chutes, il puisse un jour faire de même. Oseriez-vous préconiser, dans vos sociétés, que les adultes marchent à quatre pattes, pour éviter à leurs nourrissons de se sentir offensés ? Probablement que non.
Mais alors pourquoi devriez vous dissimuler, aux esprits de vos congénères, les vérités éprouvées que vous détenez ? Comme l’idée qu’il n’existe rien de moins maléfique sur Terre, que de boire un verre d’eau plate lorsque l’on est déshydraté ? Que refuser une transfusion à un enfant victime de lourdes hémorragies, est un crime que rien ne saurait excuser ? Ou que les promesses et menaces post-mortem des divinités ne sauraient, inévitablement, engager que ceux qui les écoutent ?
Ne l’oubliez pas, les idéologues disposent d’innombrables parvis réels et virtuels, sur lesquels ils épanchent, semaine après semaine, leurs anathèmes et leurs contre-vérités. Si les humains de bon sens se taisent, qu’espérez-vous encore pour le futur de votre humanité ? Si votre “tolérance” vous empêche de tacler les appels à châtier les incroyants et les apostats, comment croyez-vous pouvoir un jour vivre en paix ? La bonne volonté, dans votre monde, n’est hélas d’aucun secours, si elle n’est pas étayée par un certain sens des réalités.
Quelques références
Historique des changements