Regard Humaniste

Justice & Ethique

Les frivoles Tikamis ont la chance d'avoir la Déesse de Justice, Athéna, pour mentor.

Justice & Ethique

Une source de rivière dans la nature

Un essai du doux Tikami

  • Dernière édition : 5 août 2018

La Source Ethique

Les humains sont “l’espèce des experts”, et chacun d’entre vous domine notre petit peuple Tikami sur au moins un sujet, que ce soit l’astronomie, la cuisine, la pyrogravure, le saut en longueur, le sifflement… Mais étrangement, c’est sur les sujets les plus importants que vous vous montrez les plus lacunaires. Ainsi, je n’ai pas pu avoir une seule réponse satisfaisante à la question la plus primordiale qui soit: quelle est la source de l’Ethique?

Attention, par cette expression, je ne désigne pas la cause des valeurs et comportements éthiques chez les êtres vivants. Ces attributs sont d’origine extrêmement multifactorielle: éducation, tradition, religion, empathie, raisonnement, peur du gendarme, recherche de la notoriété, voire instinct… Non, ce à quoi je fais référence, c’est le fondement - s’il existe - des notions de Bien et de Mal. Ce qui permettrait de les aborder comme des concepts objectifs et universels, non des phénomènes psychologiques subjectifs, fluctuant au gré des évolutions culturelles.

Les morales légalistes

Certains, sans toujours l’assumer, assimilent moralité et légalité. Vous les reconnaîtrez facilement, ce sont ceux qui, même lors d’un débat sur une réforme législative, diront sans sourciller “Pourquoi on ne doit pas faire cela ? Mais tout simplement parce que cela est illégal!”

Il est difficile de sortir de cette logique circulaire, dans laquelle les lois sont à la fois les causes et les conséquences de l’éthique. Il est en revanche facile de voir l’aubaine que représente ce système de pensée, pour tout despote espérant se monter une garde prétorienne non sujette à l’objection de conscience.

D’autres personnes utilisent des arguments de Tradition. “On a toujours fait comme cela”, “C’est une coutume fondamentale de notre identité culturelle”, et autres vibrants, mais peu probants, arguments. C’est en fait aussi une forme de légalisme, même si elle fait appel au droit coutumier, et non au droit formel.

Les morales transcendantes

Certains m’ont répondu, catégoriquement, que le source de la morale était “Dieu”. “Lequel?” demandai-je. “Vishnu? Allah? Osiris? Ishtar? Yahve? Christ? Odin?”. “Mais non enfin, le vrai Dieu, Untel bien sûr! C’est Lui et Sa Volonté qui sont le Bien, la Lumière et la Vérité, tout le reste n’est que Mal, Ténèbre et Mensonge”. Et de me renvoyer à une sélection de Livres vraiment Saints, dans lesquels étaient explicitées les prescriptions et proscriptions à suivre pour rester dans le Bien.

Cette approche me parait très problématique. Nonobstant le nombre de divinités en concurrence, il faut gérer les conflits de traduction, ceux d’interprétation, ceux d’arbitrage entre textes canoniques et apocryphes, sans oublier les ajouts de la Tradition… Les religions se divisent donc en myriades de confessions incompatibles, brandissant toutes des armées de prophètes, de saints, et de miracles, pour étayer leur seule légitimité. Les concepts de Bien et de Mal s’en retrouvent d’autant chahutés.

Mais même si l’on accepte cette quête supplémentaire, deviner qui d’entre ces doctrines a raison, les difficultés ne font que commencer. Car, aussi bien chez les plus oubliés que chez les plus plébiscités des dieux, le système moral proposé est un beau capharnaüm. Les directives diététiques s’y mélangent aux vantardises et aux promesses non vérifiables, les questions les plus utiles restent sans réponse, et à force de ne point condamner des pratiques douteuses comme l’esclavage ou la lapidation, les mystiques finissent par les promouvoir. Je veux bien que l’humanité ait un fonctionnement légèrement différent de celui de mon peuple Tikami, mais fi donc, il existe quand même des limites aux coutumes exotiques.

“Si Dieu n’existe pas, alors tout est permis” aiment à dire certains prêcheurs. Terrifiante morale, celle qui n’est soutenue que par le Carotte et le Bâton d’une Entité Surnaturelle, dont l’existence même est soumise à question.

Les morales philosophiques

Nombre de vos philosophes ont pris leurs distances avec cette morale religieuse, et conceptualisé divers systèmes éthiques. Prenons par exemple le célèbre Kant. J’avoue ne pas avoir beaucoup creusé ses raisonnements, ni identifié une “source” précise à son éthique; il était question de “traiter autrui comme une fin et non un moyen”, ou “agir d’une façon qui puisse devenir une maxime universelle”. Ce rejet du Vol’Res me semblait de bon augure.

Mais dans la pratique, cela a débouché sur des commandements catégoriques comme le fait de “ne jamais mentir”. Autrement dit, à des équivalents profanes de ce qui existe de pire dans le monde des croyances religieuses: les Dogmes.

Ces directives tyranniques, incapables de s’adapter au contexte de la réalité, incapables de prendre en compte les dilemmes, je ne pense pas qu’elles aient le moindre lien de parenté avec l’éthique dont l’humanité a besoin. Il suffit de lire Kant, appelant à livrer son voisin à des criminels par souci de franchise, pour s’en convaincre.

D’autres philosophes ont heureusement été plus pondérés dans leur approche du problème. Ils ont reconnu des limites aux maximes toutes faites, évalué aussi bien les motivations que les conséquences des paroles et actes, paraphrasé la fameuse Règle d’Or dont chacun est plus ou moins conscient… mais les instructions issues de ces réflexions, ne sont une fois encore que les conséquences de la source éthique, pas son essence. Et à faire de l’éthique sans fondement solide, on tombe facilement dans des chausse-trappes, comme le relativisme moral (ex. chacun décide de ce qui est bien ou mal), ou une éthique fasciste (ex. les faibles doivent disparaître pour que - préoccupation ultime - l’humanité soit forte et efficace).

N’ayant pas assez de culture humaine pour vous désigner d’heureux prédécesseurs dans ce domaine, je vous livre donc la source que nous autres, Tikami, avons identifiée pour une éthique durable et juste.

La source empirique

Sauriez-vous me dire, ami lecteur, pourquoi il est anodin de laisser tomber un galet sur le sable d’une plage, mais pas sur la tête d’un plagiste? Pourquoi vous aimez donner un coup de pied dans un ballon, mais pas de petit orteil dans une étagère? Pourquoi vous taillez sans crainte vos haies et vos pelouses, mais pas vos oreilles et vos dents? Pourquoi vous pouvez librement menacer et injurier votre voiture en panne, mais pas le garagiste ni l’agent d’assurance?

La réponse est simple: à cause de la sensibilité.

Il peut s’agir de sensibilité physique (propagée par les nerfs sensitifs), ou de sensibilité psychique (émotions et sentiments, nés des informations reçues et transformées par l’activité cérébrale). Les deux étant bien sûr interdépendants (somatisation d’un côté, impact psychique de l’autre).

Il peut s’agir d’une sensibilité dans son actualité (ex. pour vous qui lisez ces lignes), ou dans sa potentialité (même une personne en sommeil profond ne saurait être tuée, car elle s’éveillera bien, en principe, un jour).

Cette capacité d’avoir des sensations positives et négatives est, à ma connaissance, l’unique, nécessaire et suffisante, source de l’éthique. Certains ont évoqué, en surplus, la “conscience de soi”. Il nous est difficile d’imaginer une sensibilité absolument dénuée de cette conscience de soi; mais ce dont je suis convaincu, c’est que même le plus immature des bébés, incapable de trouver son propre pouce, incompétent à se reconnaître dans le miroir, en quasi-fusion avec le sein maternel, mérite tout autant d’être respecté que le penseur métaphysique qu’il sera quelques années plus tard. Contentons-nous donc de cette notion communément expérimentée: le fait de ressentir les choses.

C’est de cette sensibilité des êtres que proviennent les notions de Bonheur et de Malheur, et des chemins qui mènent, c’est-à-dire le Bien et le Mal. Sans elle, il n’y a plus de “ce que je veux que l’on me fasse”, il n’y a plus de Règle d’Or. Dans le cosmos, les étoiles naissent et meurent dans une infinie paix. Et il en serait de même pour vous, si vous étiez de pures horlogeries biologiques: soit sans conscience des phénomènes, soit complètement insensibles à leurs effets (“être en bon état ou tout cassé? vivant ou mort? peu m’importe”).

Là où le bât blesse

Poser la sensibilité comme source universelle de l’éthique, c’est à la fois une plaisante et dérangeante “nouvelle” pour les humains. Une plaisante parce que, chacun ayant une expérience très intime de cette sensibilité commune, il lui suffit d’un chouia de logique pour retrouver, tout seul, les grands principes d’une éthique universelle. Une dérangeante parce que, dans cette définition, il n’est question ni de divinité, ni d’espèces, ni de races; et que sont donc protégés par cette éthique tous les êtres sensibles, qu’ils soient humains ou animaux, terrestres ou extra-terrestres, naturels ou (admettons) surnaturels.

Conscients que causer des souffrances était moralement critiquable, mais qu’il était bien pratique d’exploiter sans vergogne les animaux, les humains ont souvent ferraillé pour leur dénier une sensibilité. Descartes a élucubré sur l’animal-machine, qui ne ferait bien évidemment que mimer la souffrance lorsqu’on le bat ou l’égorge. Les aficionados ont multiplié les argumentaires et pseudo-études pour prouver que les taureaux de corrida ne souffrent pas tandis qu’on leur laboure la chair (car ils produisent des analgésiques, comme les femmes lorsqu’elles accouchent, CQFD). Les pécheurs ont entretenu le mythe que les homards n’avaient pas sensation de la douleur, ce que les études sur les crustacés ont tout sauf corroboré. Et cette tendance négationniste a débordé jusque chez les humains, les promoteurs de combats de boxe d’enfants en Asie rappelant à qui veut les entendre que “ils les aiment comme leurs propres fils, et de toute façon ça ne fait pas mal”.

C’est, en vérité, une grande tragédie, que les humains ne soient pas capables de “sentir” la sensibilité d’autrui, comme nous autres Tikamis le faisons. Cette super-empathie aurait évité bien de tranquilles cruautés. Elle aurait aussi permis de creuser, et sûrement récuser, les théories trop audacieuses: conscience des plantes, panpsychisme, théories Gaïa… Elle aurait aidé à évaluer, d’une façon bienveillante mais juste, la dignité à affecter à chaque être vivant, de l’humain à la bactérie intestinale. Mais tant que ce sens vous fera défaut, il vous faudra en recourir à l’observation, à l’empathie, et à une denrée des plus rares sur Terre: l’honnêteté intellectuelle.

Reconnaître que la sensibilité est à l’origine de l’éthique, ce n’est hélas pas une recette magique: pour en déduire un système moral à la fois complet et bénéfique, il faut aussi de bonnes doses de Raison et d’Empathie. Car outre la facilité qu’ont les gens à nier la sensibilité des autres, il reste de graves écueils à éviter, comme le déontologisme pur (“peu importent les conséquences tant que je souhaite faire le Bien des gens”), ou l’utilitarisme pur (“sacrifions cet innocent pour que ses organes en sauvent trois autres de graves maladies”. Et je ne parle même pas des foultitudes de dilemmes plus ou moins imaginaires, sur lesquels des générations de moralistes n’ont cessé de disserter. Mais enfin, soyons réalistes: la plupart des conflits que vous rencontrez sont d’une facilité déconcertante à résoudre, tant que l’on prend comme boussole le “respect des êtres sensibles”, et non une des mille et une chimères idéologiques qui tentent de lui voler la vedette.

Historique des modifications

  • 2016/10/28: Réordonnancement des paragraphes de “La source empirique”
  • 2016/11/02: Ajout des notions de Raison et Empathie en conclusion
  • 2016/11/05: Simplifications de vocabulaire et ajustements de ponctuation
  • 2016/11/13: Explicitation de l’expression “source de l’éthique”
  • 2018/08/05: L’impropriété “par contre” devient “en revanche”, ajout d’un lien sur la Règle d’Or
Tikami in wildlifeAperçu de l'auteur, le Tikami
 
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